Description
EXTRAIT :
Il y a donc quelque part un défaut radical dans le processus de la civilisation humaine; mais où gît-il et par quelle voie sortirons-nous de ce cycle de faillites sans fin ? Notre développement d’une existence civilisée aboutit à un épuisement de la vitalité, et la Nature refuse de soutenir plus longtemps toute marche prolongée dans cette direction; après avoir perturbé l’équilibre du système humain pour son plus grand profit, notre mentalité civilisée découvre finalement qu’elle a épuisé et détruit ce qui la nourrissait et qu’elle perd son pouvoir de saine productivité et de saine activité. Nous nous apercevons que la civilisation a créé beaucoup plus de problèmes qu’elle ne peut en résoudre et multiplié des besoins et des désirs excessifs, que sa force vitale ne suffit pas à satisfaire ; elle a fait croître une jungle de revendications et d’instincts artificiels où la vie s’égare et perd toute vision de son but. Les esprits avancés se mettent à déclarer que la civilisation est en faillite, et la société commence à s’apercevoir qu’ils ont raison. Mais pour tout remède, il nous est proposé, soit une halte — ou même un retour en arrière, ce qui entraînerait finalement une confusion plus grande, la stagnation et la décadence —, soit un « retour à la Nature », ce qui est impossible ou ne peut se faire que par un cataclysme et une désintégration de la société; ou même, on cherche à guérir en poussant à l’extrême des remèdes artificiels : par toujours plus de science, toujours plus d’engins mécaniques, par une organisation toujours plus scientifique de la vie ; ce qui suppose que le moteur remplacera la vie, que la raison logique et arbitraire se substituera à la complexité de la Nature et que l’homme sera sauvé par la machine. Autant dire que la meilleure manière de guérir une maladie est de la pousser à son paroxysme.
On pourrait suggérer, au contraire, et avec quelque chance de frapper à la bonne porte, que le défaut radical de tous nos systèmes est d’avoir insuffisamment cultivé ce que la société a justement le plus négligé : l’élément spirituel, l’âme dans l’homme, son être véritable. Car, même si l’homme possède un corps sain, une forte vitalité, un mental actif et clair — et un espace suffisant pour en user et en jouir —, cela ne le conduit pas au-delà d’un certain point; vient un moment où il se relâche et se fatigue, faute de s’être réellement trouvé lui-même et d’avoir découvert un but satisfaisant à son action et à son progrès. La somme de ces trois éléments — physique, vital et mental — ne constitue pas l’homme intégral ; ce sont des moyens qui conduisent à un but plus lointain et qui ne peuvent éternellement servir de fin en eux-mêmes.